Titulaire d’une double formation en médecine clinique (spécialité Santé Publique) et en business (LSE, Wharton), Laurent Nguyen assume la direction de Sensorion depuis 2012. Auparavant il a accumulé plus de vingt années d’expérience dans l’industrie à des postes à responsabilité en France et à l’international en marketing (Hoechst-Roussel, LIPHA/Merck KGaA) et en business development/licensing (Hoffmann-La Roche, Pierre Fabre).
BiotechBourse : À l’annonce de l’accomplissement de la phase 1 de SENS-218, soit le deuxième composé en phase clinique de Sensorion, l’action a clôturé jeudi en repli de plus de 3,5%. Votre titre est d’ailleurs malmené depuis fin 2015 avec près de 40% de recul. Etes-vous déçu ?
Laurent Nguyen : Les mouvements boursiers ont de quoi rendre perplexe même si nombre d’autres biotechs et medtechs sont aussi dans ce cas. Nous restons néanmoins toujours au-dessus de notre cours d’introduction. Cela ne nous détourne pas de notre cœur de métier : nous sommes là pour apporter des solutions aux patients en développant des médicaments innovants, ce qui passe par des étapes cliniques et règlementaires bien codifiées. En matière de développement de nos produits, Sensorion délivre jusqu’ici ce que nous avions annoncé à l’introduction. La réaction des marchés peut parfois surprendre compte-tenu notamment des étapes importantes franchies ce mois-ci sur nos deux composés les plus avancés…
BiotechBourse : Revenons tout d’abord sur l’annonce de jeudi pour SENS-218.
Laurent Nguyen : Cette molécule, qui vise à réparer les lésions qui affectent l’oreille interne et causent des symptômes très handicapants, a donc terminé avec succès la phase 1. Cela nous permet de préparer la phase 2, en vue de laquelle nous avons commencé les discussions règlementaires. Comme cela va être le cas pour SENS-111, notre objectif sera de mener cette phase 2 à l’échelle internationale.
BiotechBourse : Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt du travail mené dans cette étude sur les formes énantiomères du SENS 218 ?
Laurent Nguyen : Outre la très bonne tolérance clinique du composé, la phase 1 nous a permis d’établir le profil pharmacocinétique sous sa forme racémique et la répartition entre ses deux formes énantiomères (qui se présentent physiquement comme deux formes inverses de la molécule, l’une étant l’image en miroir de l’autre). Il est toujours très intéressant d’étudier les énantiomères, qui peuvent avoir des propriétés biologiques différentes et qui sont aussi l’occasion de compléter la protection intellectuelle du produit. Par exemple, une pharma peut développer une forme énantiomère d’un produit existant, ce qui permet de prolonger sa protection, on l’a vu pour donner un exemple dans le domaine gastro-intestinal sur certains inhibiteurs de la pompe à proton.
BiotechBourse : Où en est le composé le plus avancé SENS-111 contre les vertiges aigus sévères ?
Laurent Nguyen : Sensorion a obtenu l’autorisation de la FDA (statut IND) de mener des essais cliniques avec le produit aux Etats-Unis. C’est une étape règlementaire importante : la FDA est légitimement pointilleuse et soucieuse de ne mettre à aucun moment la sécurité des patients en péril. C’est donc à l’issue d’une analyse très poussée du dossier que l’agence américaine a donné son accord pour mener des essais cliniques.
BiotechBourse : Quand prévoyez-vous le démarrage effectif de cette étude et combien de patients concernera-t-elle ?
Laurent Nguyen : Notre objectif est de recruter le premier patient avant la fin de l’année. Nous préciserons le design à cette occasion, pour le moment nous n’avons pas dévoilé le nombre de patients. Ce que je peux dire, c’est que nous avons à cœur de faire les choses très sérieusement dans ce domaine très nouveau des maladies de l’oreille interne qui n’a encore fait l’objet que de très peu d’essais. Il est important de prévoir des cohortes suffisantes pour tirer des conclusions probantes. À titre d’exemple, la phase 1 de SENS-111 comportait pas moins de 100 volontaires sains. Nous avons testé des doses uniques et des doses répétées et examiné pas moins de trois critères : au-delà de la tolérance clinique et des données pharmacocinétiques nous avons aussi effectué un stress test vestibulaire (« test calorique »), qui consiste à simuler un vertige (de manière non-invasive avec des instillations successives d’eau froide et d’eau chaude dans l’oreille), ce qui nous a donné des indications préliminaires sur les doses potentiellement efficaces à tester en phase 2. Ces résultats ont été acceptés pour présentations lors de deux conférences internationales : en poster au congrès annuel de l’Académie Américaine d’Oto-Rhino-Laryngologie – Fondation de Chirurgie Cervico-Faciale (AAO – HNSF) qui se déroule du 18 au 21 septembre aux Etats-Unis puis en présentation orale au congrès de l’Association Européenne de la Pharmacologie Clinique et de Thérapeutique (EACPT), du 6 au 9 octobre.
BiotechBourse : Vous avez aussi un troisième programme, SENS-300, pour lequel Sensorion cherche à déterminer le meilleur candidat. Où en est cette sélection ?
Laurent Nguyen : Le processus de sélection préclinique se poursuit pour choisir un composé répondant à un cahier des charges exigeant. SENS-300 est destiné à prévenir les dommages à l’oreille interne que peuvent subir les personnes traitées par certaines chimiothérapies : il faut donc non seulement trouver un composé sans toxicité, facile à administrer mais aussi qui n’interagit pas avec l’activité des médicaments contre le cancer. Dans les maladies de l’oreille interne, l’innocuité et la facilité de prise du médicament sont capitales pour tout patient quel qu’il soit. A la différence de nos deux plus proches comparables (Auris et Otonomy, deux sociétés cotées au Nasdaq, N.D.L.R) qui travaillent sur des traitements en administration trans-tympanique – nécessitant donc une intervention en cabinet médical consistant à passer une aiguille au travers du tympan- nous voulons mettre sur le marché des produits faciles à prendre pour les patients, notamment par voie orale, sous-cutanée ou par IV.
BiotechBourse : Quels sont vos objectifs en matière de partenariat ?
Laurent Nguyen : Nous estimons que nous avons la capacité de travailler sur un 4e voire un 5e programme. Jusqu’ici, les indications de l’oreille interne sont surtout explorées par des biotechs, mais nous commençons à constater un intérêt des big pharmas. Nous pensons donc que, d’ici 12 à 24 mois, des opportunités de programmes collaboratifs pourraient s’offrir à Sensorion. Notre avantage est de disposer aujourd’hui d’une plate-forme complète, fruit d’un travail translationnel de longue haleine de l’éprouvette jusqu’aux applications cliniques. Ce n’est pas le genre de savoir-faire qu’un labo pourrait acquérir rapidement. Notre compréhension de la physiopathologie, nos outils de développement et nos modèles, exclusivement dédiés à l’oreille interne, sont issus de travaux menés depuis la création de la société en 2009, et avant cela la plate-forme représentait déjà 10 ans de travail au sein de l’INSERM dont nous sommes issus. Donc des groupes pharmaceutiques pourraient trouver un intérêt, via un accord de licence ou de co-développement, à nous apporter une molécule à développer de façon la plus rapide et efficace grâce à une plate-forme comme il en existe peu dans ce domaine.