Rudi Van den Eynde gère le fonds Candriam Equities L Biotechnology (initialement Dexia Equities L Biotechnology) depuis sa création en 2000. Détaché du groupe bancaire Dexia en 2014, Candriam appartient désormais à New York Life, le premier assureur mutualiste des Etats-Unis et l’un des principaux gérants d’actifs mondiaux, réputé pour sa solidité et sa stratégie prudente. Rudi est également Head of Thematic Global Equity pour l’ensemble de Candriam Equities.
BiotechBourse : Lors d’un entretien que nous avions mené en mars 2012, vous déclariez que la valorisation des biotechs était très raisonnable et que le secteur recelait un important potentiel. De fait, les grands indices biotechs comme le XBI ont vu leur valeur tripler au cours des années suivantes jusqu’au pic de l’été 2015. À votre avis, est-ce que la hausse est allée trop loin, ce qui expliquerait la correction des derniers mois ?
Rudi Van den Eynde : Aujourd’hui, il est clair que les valorisations ne sont absolument pas le problème. Aux Etats-Unis les ratios des méga-capitalisations du secteur biotechnologique sont redevenues extrêmement raisonnables puisqu’on relève une décote considérable par rapport à la moyenne du S&P 500 en termes de PER (cours/bénéfices) et de free cash flow yield (génération de trésorerie) : cela se produit rarement, la dernière fois remontant à 2011. Du strict point de vue des ratios de valorisation, le secteur est aujourd’hui attrayant, les ventes et les bénéfices des sociétés de biotechnologie ayant fortement progressé. Si l’on cherche une bulle, elle ne se trouve pas dans les valorisations mais certains estiment que c’est dans le prix des médicaments qu’il y a des excès étant donné qu’aujourd’hui les entreprises ont légalement les mains libres pour établir leurs tarifs – bien qu’elles doivent négocier avec les assureurs. Aussi le débat sur le mécanisme du prix des médicaments outre-Atlantique -débat pas nouveau puisque nous évoquons cette question depuis des années mais qui a pris de l’ampleur ces derniers mois- affecte le secteur avec ce raisonnement que la rentabilité des entreprises du médicament diminuerait forcément si un gouvernement en venait un jour à imposer des prix beaucoup plus bas.
BiotechBourse : Est-ce une perspective crédible ?
Rudi Van den Eynde : D’abord il faut être conscient que ce débat en tant que tel ne va pas disparaître. La candidate démocrate Hillary Clinton l’a résolument placé sur l’agenda politique. La crainte c’est qu’on passe d’une situation où les tarifs sont librement établis par le secteur privé à un mécanisme où le gouvernement obtiendrait le droit de peser dans les négociations voire dans le scénario le plus défavorable pour l’industrie, d’imposer un prix plafond comme dans certains pays. Le revers, c’est que l’innovation s’effondrerait si les prix ne permettaient plus de rémunérer la R&D. Il faut bien assumer le coût du durcissement des normes des agences règlementaires et des exigences cliniques qui sont incomparablement plus élevées qu’il y a vingt ou trente ans. Et pour un composé mis sur le marché, les entreprises doivent financer de nombreuses molécules qui échouent. Difficile d’exiger à la fois des prix extrêmement bas et une amélioration des soins… Mais ce n’est pas notre scénario central. D’une part, si Clinton l’emporte, elle n’aurait pas la possibilité d’agir en tant que Présidente puisqu’une loi émanerait nécessairement du Congrès : tout dépend plutôt du résultat des législatives du 8 novembre et une majorité Démocrate est loin d’être acquise. D’autre part, quel que soit le scrutin, nous ne croyons pas à un scénario où le gouvernement imposerait un prix bas (comme au Canada par exemple). Nous pensons que les discussions vont forcément se durcir mais nous sommes convaincus que les traitements réellement innovants conserveront une rentabilité intéressante. La candidate démocrate a d’ailleurs déjà précisé qu’il importait de ne pas pénaliser l’innovation. Nous nous attendons à des discussions constructives, chacun partageant plus ou moins la vision que sur le long terme, il faut que les prix restent suffisant pour payer l’innovation et générer un rendement adéquat sans que le coût pour la société devienne prohibitif. En revanche, nous allons assister à l’essor des biosimilaires, équivalent des génériques pour les médicaments biotechnologiques. D’un point de vue éthique, j’applaudis car il est normal que les médicaments anciens deviennent moins cher et facilitent l’accès aux soins. Mais personne ne veut tuer la vague d’innovation galopante, laquelle apporte des progrès flagrants par exemple avec l’immuno-oncologie qui est en train de véritablement changer la façon dont on traite le cancer avec un prolongement significatif de la survie dans certaines indications. Nous avions aussi connu il y a quinze ans les premières tentatives de thérapie génique, qui avaient généralement échoué car les technologies n’étaient pas encore au point. Mais aujourd’hui l’édition du génome est sur le point d’aboutir à des ruptures thérapeutiques qui vont enfin vraiment aider des patients touchés par des pathologies dévastatrices.
BiotechBourse : Que dire du récent sell-off ?
Rudi Van den Eynde : Pour les biotechnologies, intrinsèquement les perspectives sont bonnes. Il y a maints progrès thérapeutiques à l’horizon. Les valorisations sont attrayantes quand vous payez Gilead 8 fois ses bénéfices ou même Celgene 20 fois ses bénéfices, ce qui reste moins cher qu’un Essilor ou un L’Oréal alors que la croissance bénéficiaire n’a rien à voir. Mais pour l’heure, les investisseurs perdent confiance dans les actions d’une manière générale et vendent massivement cette classe d’actifs. Dans ce contexte, les stratégies satellites comme la biotech sont vendues en premier lieu. Le secteur souffre donc d’abord pour des raisons qui ne lui sont pas spécifiques. Ma conviction est qu’à un moment de l’année cela va amener une « golden opportunity », une opportunité en or d’acheter le secteur. Peut-être pas aujourd’hui ou demain, ni même dans un mois… mais je constate que les conditions sont en train de se réunir.
BiotechBourse : Votre gestion reste majoritairement centrée sur les valeurs américaines comme Gilead et Celgene que vous avez citées. Quelle est votre perception du secteur biotech européen ?
Rudi Van den Eynde : Clairement, le secteur est encore moins cher en Europe qu’aux USA, reflétant en partie un taux de succès encore faible et un manque de formidables parcours boursiers qui emportent l’adhésion des investisseurs. Les entreprises européennes sont aussi plus early stage dans l’ensemble. Néanmoins beaucoup de dossiers européens figurent sur notre watch list. D’un point de vue scientifique, nous sommes assez attirés par des entreprises franco-belges. Nous surveillons donc Ablynx, Adocia, Argenix, Celyad, Galapagos ou encore Innate Pharma. C’est avant tout la science qui nous intéresse et que nous analysons avec mon équipe qui compte déjà deux PhD, d’autant que sur des small caps, la valorisation importe peu au fond : la clé c’est la science et le choix des bonnes valeurs. À terme, sur Innate peu importe que vous achetiez à 11 ou 15 euros, la réalité est que si leurs projets se révèlent bons, 15 sera très bon marché et 11 beaucoup trop cher s’ils sont mauvais. Si les données cliniques du produit licencié à BMS montrent un vrai bénéfice au plan de la survie, il n’y aura pas de question et la valorisation va progresser. C’est un exemple de dossier qui peut devenir extrêmement positif, avec peut être encore plus de valeur potentielle dans le portefeuille préclinique : le rationnel scientifique du programment d’anticorps ciblant le récepteur CD39 me semble très intéressant. Après tout dépend de la teneur des résultats cliniques et pour cela il faudra donc attendre des années… Sur ce plan Adocia est un des dossiers les moins risqués en Europe étant donné les nombreuses données déjà générées, sans aucun échec jusqu’à présent. Et pour que Lilly revienne vers un « petit » partenaire après avoir rompu une collaboration, il y a quand même une question de fierté, les données sur la table doivent être solides… Mais dans la pathologie du diabète, les essais sont de longue durée, donc Adocia m’apparaît comme un slow burner, prometteur mais il faudra du temps avant que toute sa valeur éventuelle ne soit dans les cours. À la Bourse de Bruxelles aux côtés des stars Galapagos et Ablynx, nous nous penchons sur Argenx, une perle potentielle mais avec un portefeuille encore précoce. Celyad me semble purement binaire avec un produit phare dont on saura bientôt s’il est vraiment efficace ou non.
BiotechBourse : Pour revenir à la cote biotech française, que pensez-vous de la plus grande capitalisation française du secteur, DBV Technologies ?
Rudi Van den Eynde : Le fonds est plutôt focalisé sur d’autres maladies que les indications poursuivies par DBV, mais ses actionnaires ont plutôt ma sympathie : je juge la direction crédible et les données jusqu’ici sont positives. C’est encore un exemple de capitalisation raisonnable si leur produit arrive sur leur marché, même avec une possible concurrence, dans un panier de valeurs européennes le titre a sans doute une place.
BiotechBourse : Faute de critères financiers pertinents, la science est cruciale comme vous l’avez souligné pour la valorisation des biotechs. Qu’en est-il de la gouvernance ?
Rudi Van den Eynde : Vous avez raison, c’est un aspect très important mais depuis 15 ans que je suis le secteur cela s’est bien amélioré. Il y a encore des cas douteux mais cela devient plus difficile de vendre du vent ; d’abord parce que les fonds de Venture Capital sont plus nombreux et compétents, ils forment un premier filtre efficace pour des projets qui arrivent ensuite en Bourse, et globalement les investisseurs sont plus spécialisés avec des connaissances médicales approfondies permettant d’analyser la réalité scientifique par-delà la communication des sociétés. Sur ce plan toutefois les USA sont encore en avance par rapport à l’Europe, la communication est généralement plus adéquate et les délais mieux respectés. En Europe les décalages et les retards sont moins rares. Certaines entreprises européennes ne comprennent pas toujours que si on dit à un investisseur qu’on va faire cela à telle date, il faut le faire pour ne pas perdre sa confiance. C’est un peu moins assimilé en Europe, certains oublient un peu vite l’importance de respecter celui qui vous permet de vivre et de mener vos recherches… Souvent une capitalisation boursière anormalement basse traduit le fait que le marché ne trouve pas la direction crédible, avec des erreurs de communication, une divulgation sélective ou floue des données des essais cliniques ou encore un non-respect des délais annoncés.
BiotechBourse : En Bourse, certains investisseurs se spécialisent dans la chasse aux sociétés qui reviennent à meilleure fortune, ce qu’on appelle les société “recovery”. Dans la biotechs, croyez-vous aux “recovery stories” ?
Rudi Van den Eynde : Nous nous gardons de tout dogmatisme et, comme pour toutes les tendances que nous identifions, il peut y avoir et il y a des exceptions, mais de façon empirique je suis réservé sur ce type de dossier. Généralement quand une société plante son premier produit, au plan clinique ou commercial, il vaut mieux passer à autre chose. Après des déboires catastrophiques, très peu parviennent à remonter la pente. Une stratégie « sell the winner and buy the loser » aurait plutôt donné des résultats calamiteux, les bons titres à acheter sont souvent tout simplement ceux des entreprises qui marchent bien… Aux USA certains actionnaires aiment jouer les titres des sociétés dont le cours chute jusqu’à son cash en se disant que le risque/rendement ne peut que s’améliorer, mais c’est une méthode de trading, pas d’investissement.
BiotechBourse : Pour finir, que conseilleriez-vous à un actionnaire de biotechs un peu déboussolé par rapport à la situation immédiate des marchés ?
Rudi Van den Eynde : Notre point de vue est d’inviter à la prudence quant aux valeurs individuelles qui sont toujours très risquées pour la majorité des investisseurs. Croyez que ce n’est pas du tout par élitisme, certains actionnaires individuels sont bien informés et très compétents, mais c’est très difficile de remplacer une équipe de professionnels qui s’occupent exclusivement de valoriser des données cliniques. D’autant plus qu’aujourd’hui il y a de moins en moins de « mauvais » produits, dans l’immuno-oncologie vous avez une panoplie de plus en plus vaste de molécules qui agissent selon des mécanismes différents, toutes apportent quelque chose mais il faut pouvoir se mettre à la place des praticiens qui ne pourront pas tout prescrire, c’est un travail de recherche considérable qu’une personne seule ne peut plus vraiment accomplir. Vu la volatilité extrême du secteur, prenez un tracker ou un fonds actif, soyez mesurés sur les titres en direct !