Après des années de croissance à tout prix, la stratégie de Valeant a volé en éclats. Non seulement le groupe se trouve face à une montagne de dettes, mais il est sous le coup de plusieurs enquêtes pour ses pratiques commerciales et comptables. Sans compter que Valeant est médiatiquement une cible rêvée pour les politiques en raison de sa propension à racheter des molécules pour en multiplier les tarifs de vente… Le groupe pharmaceutique canadien, devenu un ogre boursoufflé à force d’acquisitions coûteuses, a vu en l’espace d’un an sa valorisation totalement décimée. L’action qui valait 262,52 dollars à son plus haut du 5 août 2015 a chuté de plus de 90% depuis. Un plus bas à moins de 20 dollars a même été touché en juillet dernier. De gros investisseurs ont quitté le navire, non sans y laisser des plumes. Autant dire que le tableau n’est pas engageant de prime abord.
Pourtant, Joseph Papa, un vétéran de la pharma n’ayant plus grand-chose à prouver, a récemment accepté de prendre la barre du vaisseau désemparé. Son objectif immédiat est de stabiliser la situation de Valeant – bien avant de songer à un éventuel redressement. Bien sûr, Papa affirme que ce n’est pas pour l’argent qu’il a accepté la mission risquée du sauvetage de l’entreprise. Reste qu’en cas de succès, sa récompense serait colossale. Si l’action Valeant devait retrouver dans les prochaines années son lustre de naguère, Joe Papa pourrait empocher jusqu’à un demi-milliard de dollars. Un montant qui donne une idée de l’ampleur de la tâche, mais qui ouvre certaines perspectives sur le titre…
En cinq ans, un chiffre d’affaires décuplé par les acquisitions
Fondée par le (déjà) controversé Milan Panic, initialement dénommée ICN Pharmaceuticals, rebaptisée Valeant en 2003, la société est à l’origine spécialisée dans les génériques et les médicaments sans ordonnance, comme beaucoup de ses compatriotes. Rappelons que l’industrie des médicaments génériques est particulièrement puissante au Canada avec des acteurs comme Pharmascience ou Apotex. Ceci pour des raisons historiques : dès 1969, la législation locale a favorisé la production de copies génériques en obligeant les laboratoires princeps à concéder à bas coût des licences sur leurs molécules (régime de licence forcée, ou compulsory licencing, où l’accord du titulaire des brevets n’est pas nécessaire).
À partir de 2008 un ancien consultant de McKinsey, Michael Pearson, a pris les rênes avec un programme peu courant pour une pharma : le moins possible de dépenses de R&D, mais une croissance fondée sur l’optimisation d’actifs existants acquis à droite et à gauche. Les acquisitions se sont succédées – plusieurs dizaines chaque année. Parmi les plus importantes, Valeant a notamment fusionné en 2010 avec Biovail, une pharma spécialisée dans le repositionnement de molécules existantes, et racheté le leader mondial de l’ophtalmologie Bausch + Lomb en 2013. Entre 2010 et 2015, le chiffre d’affaires annuel est passé de 1,1 milliard à 10,4 milliards de dollars. Sur la même période, le cours de Bourse a grimpé de 900%, permettant même à la société de s’afficher quelque temps comme la plus valorisée du Canada, devant la RBC Royal Bank, tandis que Pearson empochait la plus forte rémunération du pays…
En quelques mois, le cours de Valeant a été divisé par 10
Mais à partir de l’été 2015, la chute n’en a été que plus dure (sans commune mesure avec le mouvement de correction observé sur les secteurs biotech et pharma à l’époque).
Le Congrès américain s’est d’abord penché sur les pratiques de Valeant, accusé de faire partie, au même titre que Martin Shkreli, de ce clan de pharmas exclusivement mues par la cupidité. Valeant venait en effet d’augmenter de 212% et 525% les prix de vente de deux médicaments pour le cœur (Nitropress et Isuprel) récemment rachetés. Là-dessus sont arrivées les révélations sur les liens plus qu’étroits entre Valeant et une société de vente par correspondance, Philidor, soupçonnée de pratiques déloyales visant à pousser médecins et assureurs à favoriser les produits du groupe au dépens d’alternatives moins chères. Puis en mars 2016, l’entreprise a dû drastiquement revoir ses prévisions de résultats et reconnaître que le remboursement de ses 30 milliards de dollars de dette ne pouvait être garanti. Cela a signé la sortie de Pearson, mais le titre a chuté de plus belle : jusqu’à 61% en intraday le 15 mars, pour finir à -51,46% en clôture.
Une catastrophe pour les investisseurs et en particulier pour le vénérable fonds Sequoia Capital qui s’était aventuré avec Valeant bien au-delà de son champ de compétences, très axé value. Inexplicablement, le groupe canadien était devenu sa première position (représentant jusqu’à 30% de l’actif). Fondé en 1970 et auréolé d’une réputation à la Buffett (dont les dirigeants étaient d’ailleurs proches), le fonds a perdu 1,26 milliard de dollars lors de la fameuse séance du 15 mars, obligeant ses fondateurs Goldfarb et Poppe à reconnaître la perte de leur crédibilité en tant qu’investisseurs et à quitter leur poste.
Joe Papa quitte Perrigo pour essayer de redresser la barre
C’est dans ce contexte que Joseph Papa a choisi de quitter la direction du groupe Perrigo -dont il a fait en dix ans l’un des cinq premiers producteurs mondiaux de médicaments sans ordonnance avec 4,6 milliards de dollars de revenus annuels- pour prendre la tête de Valeant. Agé de 60 ans, dont plus de 35 ans passés dans le secteur, Papa est titulaire d’une formation en pharmacie, particularité paradoxalement rare parmi les dirigeants du secteur qu’il partage d’ailleurs avec Michele Garufi, le patron de la société française Nicox (partenaire de Valeant sur le latanoprostène bunod). Préalablement à Perrigo, il avait dirigé la branche pharmaceutique de Cardinal Health puis le groupe Watson Pharmaceuticals, et encore avant il avait piloté le lancement de plusieurs blockbusters chez Novartis et Searle. Aux manettes de Perrigo, il avait récemment écarté une OPA hostile de Mylan, décevant certains investisseurs.
De façon assez convenue dans ce type de remaniement, Joe Papa a promis d’ouvrir « un nouveau chapitre » dans l’histoire de Valeant, affirmant vouloir remettre l’accent sur la recherche et le développement, tout en trouvant de quoi apaiser les créditeurs et en apportant aux patients des produits de qualité à prix accessible. Sans minimiser à l’excès les défis qui se posent au groupe, le nouveau patron fait valoir que Valeant détient tout de même des marques mondialement réputées que ce soit chez Bausch + Lomb (un des principaux fabricants mondiaux de lentilles de contact), dans sa division dermatologie, en hygiène buccale ou bien au sein de la franchise gastro-intestinale. Il affirme en outre qu’avec 33 produits en développements, c’est le contenu du pipeline qui l’a convaincu que Valeant pouvait assurer une croissance suffisante pour retrouver un rythme de croisière. Dix nouveaux produits devraient être lancés dans les 12 à 18 prochains mois, l’actif le plus mis en avant n’étant autre que le latanoprostène bunod pour traiter l’hypertension oculaire en prévention du glaucome.
Une incitation financière massive pour le nouveau dirigeant
La multiplication des enquêtes sur la gestion passée de la société pose toutefois un énorme risque face à ces belles intentions. Le contexte relatif au prix des médicaments ne sera plus jamais le même et Valeant risque de demeurer pour les mois à venir une cible idéale dans un contexte politique exacerbé par l’approche des élections américaines, sans parler des perspectives économiques qui n’ont globalement rien de flamboyant. Même après l’ampleur des dégâts sur le titre, il est difficile de dire si VRX constitue une aubaine ou s’il demeure un piège à liquidités. Papa semble toutefois décidé à mouiller la chemise, et à s’impliquer financièrement. S’il est éligible à une coquette rémunération, il s’est aussi engagé à acquérir pour 5 millions de dollars d’actions à titre personnel au cours de sa première année en poste : de fait il n’a pas tardé à opérer cette transaction, ramassant 202.000 titres au prix moyen de 24,48 dollars en juin, selon une déclaration au gendarme boursier américain. Il bénéficie d’une option pour acheter pour 10 millions de dollars supplémentaires.
Enfin, les administrateurs de Valeant n’ont pas lésiné sur sa récompense en cas de retour à meilleur fortune. En effet, Papa recevra plus de 100 millions si d’ici 2020 VRX retrouve 150 dollars (niveau d’octobre 2015) et plus de 500 millions si l’action touche 270 dollars, en vue de son ancien sommet. De quoi mettre du coeur à l’ouvrage.