Bruce Booth d’Atlas Venture présente dans une vidéo un bilan annuel 2024 du secteur Biotech. Il analyse les grandes tendances (voir la partie 1 sur les avancées scientifiques, Chine, domaines thérapeutiques, nouveaux modes d’actions, l’impact de l’IA) et les défis à venir (moins de blockbusters, cycle de développement allongé, prix des médicaments et réglementation). Enfin, Booth conclut sur le climat d’investissement, mettant en lumière les opportunités et les risques du marché Biotech.
1] Voici les grandes tendances qui ont façonné l’industrie Biotech en 2024:
●L’obésité : Le marché des médicaments contre l’obésité a connu une croissance explosive, avec des prévisions indiquant qu’il pourrait devenir la plus grande catégorie de médicaments de l’histoire, dépassant potentiellement 120 milliards de dollars d’ici le début de la prochaine décennie. Cette croissance est due à l’efficacité de nouveaux médicaments entraînant une perte de poids significative et à leurs bénéfices pour la santé, tels que la réduction des problèmes rénaux, hépatiques, cardiaques et le diabète. Il y a plus de 75 médicaments ciblant l’obésité en développement clinique, dont la plupart appartiennent aux classes des incrétines ou sont établis. Cette classe de médicaments est en train de remodeler l’industrie pharmaceutique et la société, affectant notamment l’industrie agroalimentaire, l’emploi et la télésanté.
●La Chine : La Chine est passée du statut de partenaire à faible coût à celui de source d’innovation de médicaments brevetés à l’échelle mondiale. Elle fournissait principalement des services de découverte, de fabrication et de respect des bonnes pratiques de fabrication (GMP). Aujourd’hui, les entreprises occidentales cherchent à conclure des accords de licence et de partenariat avec des entreprises chinoises pour accéder à l’innovation dans divers domaines thérapeutiques. De plus, la Chine était un marché pharmaceutique émergent. Aujourd’hui, la Chine est devenue une source d’innovation pour les médicaments brevetés à l’échelle mondiale, ainsi qu’un marché important, le deuxième plus grand marché pharmaceutique au monde. Cependant, des problèmes de qualité et de fabrication persistent en Chine, le financement par capital-risque a chuté d’environ 90 % au cours des deux dernières années, ce qui pourrait affecter la capacité d’innovation du pays à court terme. A cela s’ajoutent les tensions géopolitiques qui ne sont pas prêtes de s’arranger.
●L’immunologie : L’immunologie continue d’être un domaine très actif, avec un grand nombre de cibles intéressantes et un potentiel de développement de produits, entraînant une forte concurrence. Les fusions-acquisitions axées sur les produits dans le domaine des maladies auto-immunes ont connu une activité importante. Des domaines d’intérêt pour les investisseurs comprennent les thérapies cellulaires pour le lupus, la déplétion des lymphocytes T, les versions à longue durée de vie de médicaments existants, les inhibiteurs de STAT6 par voie orale et les bispécifiques.
●L’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique : Bien qu’il y ait eu beaucoup d’enthousiasme et de battage médiatique autour de l’IA et de l’apprentissage automatique, leur impact sur la R&D pharmaceutique est plus susceptible d’être une évolution qu’une révolution. L’IA peut avoir un impact sur divers aspects du processus de R&D, comme la prédiction de la structure des protéines, la prévision des toxicités, la sélection des patients pour les essais cliniques et la documentation réglementaire.
●L’oncologie : Après les premiers succès de l’immuno-oncologie, le domaine fait face à des vents contraires et à des défis. L’intérêt se déplace vers les produits radioactifs et les conjugués anticorps-médicaments (ADC), l’oncologie de précision, les dégradeurs et les activateurs de lymphocytes T.
●Nouvelles modalités : Il y a une expansion des nouvelles modalités thérapeutiques, mais certaines d’entre elles sont confrontées à des défis en matière de fabrication et de distribution. Les pilules orales restent la méthode préférée d’administration des médicaments. Les thérapies cellulaires, l’édition génique et les thérapies géniques virales rencontrent des difficultés tandis que les administrations non virales, les dégradeurs, les activateurs de lymphocytes T et les thérapies ciblées ont le vent en poupe. Les approbations de la FDA restent importantes, avec de nouvelles modalités telles que l’édition génique CRISPR, les thérapies géniques lentivirales et les petites molécules telles que le premier nouveau médicament pour la schizophrénie en plus de 30 ans ayant connu un succès.
●Financement et investissement : Les marchés financiers ont connu une forte activité au premier semestre 2024, avec des financements secondaires importants pour les sociétés de biotechnologie cotées en bourse. Les introductions en bourse (IPO) se sont améliorées, avec des valorisations raisonnablement solides étayées par des actifs au stade clinique. Cependant, il existe des sociétés privées cherchant à entrer en bourse et qui pourraient être confrontées à des défis de valorisation. On observe une concentration de capital dans un plus petit nombre de sociétés.
●Fusions et acquisitions : L’innovation externe reste un moteur important du succès de la R&D pharmaceutique, les petites entreprises de biotechnologie étant à l’origine de la plupart des approbations de nouveaux médicaments. Les accords de licence sont en baisse, mais les valeurs des transactions sont élevées. Les grandes entreprises pharmaceutiques sont à la recherche d’acquisitions complémentaires. Les fusions-acquisitions de sociétés de biotechnologie publiques axées sur la R&D ont ralenti en 2024, tandis que les fusions-acquisitions privées sont restées stables.
●Communauté et culture : Le secteur des biotechnologies a connu d’importantes restructurations (pas moins de 300) et des licenciements en raison du refroidissement du marché, ainsi qu’une diminution des offres d’emploi et de la demande de laboratoires. Les entreprises réduisent leurs coûts et s’adaptent aux changements induits par la pandémie. La culture du travail dans les entreprises de biotechnologie évolue, avec un débat sur la nécessité de revenir au bureau pour favoriser l’innovation et la collaboration. Enfin, le taux de rotation des employés (départs facilités) a atteint 10 %, le plus haut niveau jamais enregistré.
2] Des challenges à relever
L’évolution des coûts de R&D, la durée des essais cliniques, le taux de succès des programmes cliniques et les pics de ventes sont autant de challenge à relever pour l’industrie Biotech.
●Coûts de R&D : Le coût pour mettre un médicament sur le marché a augmenté de près de 50% au cours de la dernière décennie, passant de 1,3 Milliard $ à 2,3 Milliards $. Cela suggère que le développement de médicaments est devenu plus coûteux avec le temps.
●Durée des essais cliniques : Le temps nécessaire pour recruter des patients pour les essais cliniques a augmenté de 50 % en 10 ans. Il est passé de 16,2 mois à 25,3 mois en 2023. Cette augmentation de la durée du recrutement est un facteur qui contribue à l’augmentation des coûts globaux et au temps de développement des médicaments.
●Taux de succès des programmes cliniques : Les taux d’échec restent très élevés, avec seulement un médicament sur 10 atteignant le marché. En 2014, le taux de succès était de 15,0% (entre l’IND et l’approbation), et il est passé à 10,8% en 2023. Le taux de succès reste encore très bas et indique des défis importants liés au développement des médicaments.
●Valeur moyenne des pipelines: La valeur moyenne des pipelines dans le top 20 des entreprises pharmaceutiques a diminué au cours de la dernière décennie.
●Pics de ventes : ils ont diminué de 30% en 10 ans. Ils sont passés de 520M$ par actif en 2013 à 362M$ en 2023.
Pour autant, certaines tendances observées dans l’industrie peuvent suggérer des évolutions favorables :
○L’émergence de la classe des médicaments contre l’obésité pourrait potentiellement remodeler l’industrie pharmaceutique en générant des pics de vente plus importants.
○Les entreprises qui investissent dans les nouvelles modalités et les technologies comme l’IA pourraient être en mesure de générer des revenus importants si les programmes atteignent le marché.
○Les médicaments biologiques complexes pourraient connaître un développement accru en raison des incitations créées par l’IRA (Inflation Reduction Act), ce qui pourrait influencer les pics de ventes dans le secteur.
○En raison d’une concentration du capital sur un plus petit nombre d’acteurs, certains médicaments et entreprises pourraient générer des pics de vente plus importants.
En résumé, les coûts de R&D augmentent, la durée des essais cliniques s’allonge, les taux de succès restent faibles et la valeur des pipelines a diminué. Mais les acteurs sont entrain de s’adapter.
3] Tendance sur les levées de fonds et le M&A
La tendance des levées de fonds en 2024 dans le secteur biopharmaceutique est caractérisée par une normalisation après la période de forte croissance liée à la pandémie, mais avec une concentration accrue du capital dans un nombre plus restreint d’entreprises.
●Marchés du capital-investissement: Au premier semestre 2024, le volume des financements secondaires pour les sociétés de biotechnologie cotées en bourse a été exceptionnellement élevé, dépassant légèrement celui de 2020 (27 milliards de dollars). Néanmoins, les introductions en bourse (IPO) sont restées inférieures aux moyennes des dix dernières années, même si elles se sont améliorées par rapport à 2022. Les IPO réalisées se caractérisent par des valorisations pré-introduction en bourse supérieures à 450 millions de dollars, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. Malgré cela, un stock de sociétés privées en attente d’une introduction en bourse pourrait faire face à des difficultés d’évaluation.
●Capital-risque privé: Le marché du capital-risque privé s’est stabilisé à un niveau environ trois fois supérieur à celui d’il y a dix ans, autour de 6 à 8 milliards de dollars par trimestre. Ce niveau est cependant inférieur à celui observé pendant la période de forte croissance liée à la pandémie. La part de la biotechnologie dans le financement global du capital-risque est restée constante autour de 12 à 14 %. On observe une forte concentration des financements dans un nombre limité de sociétés avec une augmentation significative des « mega rounds » (financements supérieurs à 100 millions de dollars). L’écart entre la moyenne et la médiane des financements est le plus important jamais enregistré, soulignant cette inégalité dans l’accès au capital. La création de nouvelles entreprises a ralenti, signe d’une approche plus disciplinée.
●Financement des fonds de capital-risque: Les fonds de capital-risque ont levé beaucoup de capitaux en 2024 (environ 25 milliards de dollars), une augmentation significative par rapport aux dix années précédentes. Toutefois, la part du secteur des biotechnologies dans le financement global du capital-risque est restée stable autour de 12 à 14 %, ce qui suggère que les investisseurs ont privilégié d’autres secteurs technologiques.
●Fusions et acquisitions : Les accords de licence ont diminué en nombre d’environ 50 à 60 % pour atteindre environ 400 accords en 2024. La valeur des transactions, en termes de montants initiaux et de paiements d’étape, a augmenté10. Les fusions-acquisitions de sociétés de biotechnologie publiques axées sur la R&D ont diminué par rapport à une moyenne d’environ 30 milliards de dollars par an. Les fusions et acquisitions privées ont atteint entre 10 et 12 milliards de dollars.
En résumé, la tendance montre une activité toujours forte en termes de volume global de financements, mais avec une distribution plus inégale, concentrée dans un nombre plus restreint d’entreprises, reflétant un marché plus mature et moins spéculatif qu’au plus fort de la bulle pandémique.
- Intervention de Bruce Booth (Atlas Venture) :
Ces tendances indiquent que l’industrie biopharmaceutique connaît une période de changements et de défis, avec des opportunités de croissance et d’innovation dans certains domaines, mais aussi des incertitudes et des difficultés dans d’autres.