La décision que la Food and Drug Administration doit prendre au sujet de l’eteplirsen ne concerne qu’un très petit nombre de patients, mais son verdict, quel qu’il soit, fera couler beaucoup d’encre. Rarement l’agence américaine du médicament s’est-elle autant trouvée face à un tel dilemme qu’avec ce traitement de la maladie de Duchenne, une forme rare de myopathie où l’espérance de vie est limitée à quelques années en l’état actuel de la médecine. Le traitement ne guérit pas la maladie, loin de là, mais il pourrait ralentir sa progression et permettre aux patients de conserver plus longtemps une certaine mobilité.
Mise au point par Sarepta Therapeutics, une biotech basée à Cambridge (Massachusetts), la molécule ne permet d’envisager de traiter qu’une fraction d’environ 13% des enfants atteints et son efficacité est loin d’avoir été démontrée de façon indubitable. Les éléments les plus solides que Sarepta puisse avancer résultent d’un essai limité à douze jeunes garçons, mené selon un protocole en partie improvisé, dont le critère principal, les modalités de mesure et même les données recueillies sont très discutés.
Néanmoins, eteplirsen apporte un réel espoir à des familles durement affectées par la maladie. Des centaines de personnes se sont mobilisées, faisant état de victoires individuelles sur la maladie -un fils encore capable de marcher à 14 ans, de se lever sans aide… Gestes du quotidien malheureusement hors de portée de beaucoup de jeunes malades frappés par la myopathie de Duchenne qui voient leurs muscles graduellement disparaître. Dans ce contexte, les groupes de soutien ne veulent laisser échapper aucune piste – d’autant plus que le profil de sécurité du traitement de Sarepta apparaît, pour le coup, assez solidement établi. Au pire, il ne semble pas nuire à des personnes déjà fragilisées.
Evidemment très sensibilisés, mais aussi informés, interagissant avec l’entreprise, les cliniciens, le personnel de l’agence, mais aussi avec les investisseurs et les politiques, les patients et leurs familles ont su rompre l’indifférence et porter leurs convictions sur la place publique. De nombreux élus, sénateurs et représentants, ont écrit à la FDA pour lui demander d’homologuer le traitement.
Les échanges entre l’agence et Sarepta ont parallèlement tourné à l’affrontement. L’ancien PDG de la société, Chris Garabedian, a fini par être débarqué au printemps 2015, son conseil d’administration redoutant que son approche frontale voire agressive envers le régulateur ne soit contre-productive.
Au cours des derniers mois, l’agence a décidé de faire appel à un comité d’experts indépendants (advisory committee) pour alimenter sa réflexion sur le dossier. Finalement, le panel s’est prononcé contre l’homologation d’eteplirsen. Mais les partisans de l’homologation ont trouvé du grain à moudre dans le déroulement de l’adcom. Le panel a écouté les arguments et témoignages des uns et des autres, y compris de jeunes malades venus de tout le pays pour demander à pouvoir bénéficier du traitement. Un des membres du comité, patron d’un service de neurologie, a par ailleurs déclaré être convaincu de l’effet du médicament, mais indiqué que les termes de la question posée ne lui avaient pas permis de répondre en faveur d’une approbation accélérée. Plus étonnant encore, Janet Woodcock, la directrice du Center for Drug Evaluation and Research (l’organe de la FDA chargé spécifiquement des nouveaux médicaments) a elle-même reconnu le risque de ne pas homologuer un médicament qui in fine se révèlerait efficace. Elle a aussi jugé qu’il était tout-à-fait légitime que les patients aient leur mot à dire dans un tel débat.
Au bout du compte, la thèse selon laquelle il vaut mieux approuver le médicament en poursuivant les essais, plutôt que de risquer de priver des enfants d’une des rares innovations thérapeutiques (un autre traitement, développé par BioMarin, ayant été rejeté en janvier), a pris un certain crédit. Toutefois, beaucoup jugent qu’il serait très dommageable que l’agence envoie un signal en autorisant la mise sur le marché d’un médicament dont l’efficacité n’est pas clairement démontrée. Aux industriels la charge d’en faire la preuve. Contrevenir à ce principe essentiel ouvrirait la voie à toutes sortes de revendications de la part des industriels. En outre, l’homologation n’est pas une condition sine qua non pour approvisionner les malades : eteplirsen peut notamment être administré à titre compassionnel… Mais Sarepta Therapeutics ne gagne pas d’argent dans ce cadre, une considération qui n’est peut-être pas anodine dans ce cas.
Entre créer un précédent fâcheux et décevoir cruellement des familles frappées par le drame de la myopathie, la FDA devait en principe choisir d’ici au jeudi 26 mai. Finalement, l’agence a fait savoir qu’elle ne serait pas en mesure de terminer son examen du dossier d’ici à cette date butoir (l’agence a pour mandat de rendre 90% des décisions dans les délais prévus par la loi dite PDUFA, ce qui implique que des retards sont toujours possibles). Dans la plupart des cas, l’agence suit l’avis de l’advisory committee, mais il est aussi historiquement arrivé qu’elle homologue un nouveau médicament en dépit d’un avis négatif.
En Bourse, après avoir perdu 80% depuis le début de l’année, l’action SRPT a rebondi de 75% après l’adcom du mois dernier. À l’heure actuelle, le titre fait l’objet d’une spéculation record –bondissant de 20% dans les échhanges hors marché– mais le report du verdict de la FDA n’est pas de nature à diminuer le niveau de risque du dossier.