Dans un contexte de volatilité exacerbée, touchant le secteur santé au même titre que l’ensemble du marché, il nous a paru intéressant d’apporter le point d’un vue d’un gérant expérimenté, mais surtout talentueux et pragmatique. Nous avons interrogé Alain Pitous, associé et directeur général adjoint de Talence Gestion. Auparavant directeur adjoint des gestions du géant de l’épargne Amundi (soit plusieurs dizaines de milliards d’euros investis dans la catégorie actions) où il gérait notamment le fonds Amundi Patrimoine, M. Pitous a rejoint l’an dernier Talence Gestion, une société de gestion indépendante créée en 2010 et dont l’encours approche déjà 500 millions d’euros. Pour s’en tenir aux chiffres, voici les performances des principaux OVCVM de Talence (au 1er septembre 2015) :
Fonds | Depuis le début de l’année | 2014 | 2013 | 2012 | Depuis la création du fonds |
Talence Midcaps | +10.5% | +4.8% | +35.6% | +23.3% | +91.2% |
Talence Optimal | +5.6% | +7.6% | +14.1% | +2.1% | +25.8% |
Talence Opportunités | +8.9% | +5.8% | +35.9% | +12.5% | +53.4% |
Talence Euromidcap | +16.4% | – | – | – | +14.3% |
Talence Sélection PME | +20.2% | +1.8% | – | – | +22.3% |
BiotechBourse : En un mot, que s’est-il passé le mois dernier ? Fait-on jouer à la Chine le rôle de bouc émissaire ?
Alain Pitous : Sans remettre en cause le scénario d’une légère expansion de l’économie mondiale, c’est tout de même un sacré coup de semonce qui est venu de Chine. L’hémorragie s’est interrompue ces derniers jours, mais la dévaluation surprise du yuan a provoqué un beau désordre, et je ne pense pas que ses effets soient d’ores et déjà effacés. Les mouvements d’une ampleur aussi forte que celui auquel nous venons d’assister sont tout de même exceptionnels, et entraînent généralement des répliques, comme le ferait un séisme. Sans élément nouveau, le stress ne peut pas disparaître miraculeusement, or je ne vois pas quel facteur aurait totalement changé ces derniers jours.
Par rapport à d’autres grands pays émergents comme le Brésil ou la Russie, dont les monnaies ont été fortement dévaluées, la Chine était en quelque sorte « en retard » le yuan n’ayant pas baissé en termes relatifs. Mais je pense que les responsables chinois avaient sous-estimé la réaction des marchés. Cela devrait les inciter à regarder à deux fois avant d’aller plus loin.
Certes la situation économique de la Chine n’est pas du tout comparable à celle de la Russie ou du Brésil, elle n’a pas la même pression, mais l’hypothèse d’une poursuite de la guerre des changes pose tout de même un gros risque ; en outre plus le pays dévalue et plus cela démontre que ses responsables eux-mêmes ont une incertitude sur la croissance. Cela contribue à inquiéter les investisseurs, même s’il ne faut pas exagérer la contribution chinoise à l’économie mondiale – c’est toutefois un partenaire important pour certains pays comme le Japon et la Corée du Sud, ou l’Allemagne chez les européens.
Comme on était sur une situation larvée avec des marchés hésitants, sans grosse actualité du côté des taux, plutôt bien valorisés, n’ayant pas corrigé depuis longtemps, la Chine a joué le rôle de déclencheur et les fonds spéculatifs qui n’attendaient qu’une belle tendance se dessine pour appuyer dessus s’y sont engouffrés…
BiotechBourse : Le plus gros du mouvement est-il passé ?
Alain Pitous : En mettant de côté la question chinoise, la configuration du marché américain m’apparaît comme un sujet de préoccupation. On avait un marché qui était un petit peu cher, et qui évoluait depuis des semaines dans une phase de congestion. Et tout d’un coup il en est sorti, mais par le bas ; un tel mouvement n’est pas de bon augure. Or les marchés européens, aussi attractifs et bon marchés soient-ils, n’échapperaient pas à une correction plus forte du S&P 500. Je reste prudent quant au rebond récent qui se fait dans des volumes très bas. D’autant qu’il n’y a pas eu vraiment de capitulation. Lundi 24 aurait pu marquer le début d’une capitulation, mais finalement à la fin de la semaine en question, la baisse était, provisoirement peut être, enrayée.
BiotechBourse : Faut-il dès lors s’éloigner des actions ?
Alain Pitous : Chez Talence Gestion, nous sommes donc tactiquement devenus plus prudents mais nous conservons le doigt sur la gâchette car nous estimons que cette dégradation correspond à une respiration normale des marchés. On observe que les small et midcaps ont plutôt bien résisté. La solidité relative de ce segment, qui est plutôt le terrain de jeu des gérants fondamentaux, est bon signe car cela montre que le cœur de l’économie va bien. Dernièrement nous nous sommes repositionné sur les sociétés qui tirent leur croissance de l’Europe, des valeurs domestiques moins liées au dollar (car le gros du mouvement semble déjà fait), mais sans véritablement de préférence sectorielle. Au sein d’un même secteur les situations sont désormais si variées d’une entreprise à l’autre qu’il faut vraiment descendre au niveau du stock-picking pur.
BiotechBourse : Est-ce la Fed qui détient la clé de l’évolution prochaine des indices ?
Alain Pitous : Un relèvement des taux porterait d’abord préjudice aux émergents, mais par contrecoup pourrait générer du trouble sur les marchés. Tout dépendra du discours tenu par le comité monétaire : s’ils annoncent qu’ils relèvent de 0,25 % les taux et disent en même temps qu’ils ne bougeront plus avant des mois, ce serait incompréhensible et donc mal perçu. Autre possibilité, ne rien faire en excipant de la faiblesse de l’inflation et de la volatilité des marchés, mais cela risque d’être pris pour un avertissement que l’économie ne va pas aussi bien qu’on le souhaiterait…