BiotechBourse : Le parcours de Nicox, que vous avez fondée il y a maintenant vingt ans, défie l’imagination. La société s’est un temps hissée au premier rang des biotechs tricolores. Puis en 2010 l’échec à faire enregistrer le naproxcinod en tant que traitement des douleurs arthrosiques a fait plonger la valeur. Depuis, vous avez repositionné l’entreprise sur l’ophtalmologie. Où en est la société aujourd’hui sur ses principaux projets ?
Michele Garufi : Nous avons en effet dû rebâtir le modèle de la société et Nicox avance désormais conformément à ses prévisions. Mais je reconnais qu’après un échec comme celui que nous avons subi avec le rejet de la demande d’AMM du naproxcinod, regagner la crédibilité du marché prend du temps alors qu’au plan opérationnel et stratégique, la page est tournée depuis longtemps. Aujourd’hui, Nicox est au seuil d’une étape historique avec une voire deux autorisations de mise sur le marché susceptibles d’intervenir avant la fin de l’année aux Etats-Unis : le latanoprostène bunod (dont le nom commercial définitif sera dévoilé par Bausch + Lomb après la décision de la FDA) et l’AC170. Concernant le 21 juillet 2016, terme du délai que s’est donné la FDA pour se prononcer, le dossier clinique m’apparaît très solide – et il sera encore étayé à l’avenir avec des données complémentaires. C’est ce qui a convaincu un leader de la spécialité tel que Bausch + Lomb d’acquérir la licence. Ensuite, le contexte est bien différent par rapport au naproxcinod. Ce n’est pas une petite société française qui se présente pour la première fois devant la FDA avec un produit de médecine générale mais Bausch + Lomb avec un médicament de spécialité. C’est de plus un produit que notre partenaire qualifie de levier de croissance majeur pour les années à venir.
BiotechBourse : Bausch + Lomb a-t-il chiffré ses ambitions ?
Michele Garufi : Bausch + Lomb a divulgué ses objectifs qui sont de plus de 500 millions de dollars en pic de ventes pour le seul marché américain, et autour de 1 milliard de dollars à l’échelon mondial.. Si la FDA délivre l’autorisation, le lancement pourrait intervenir entre août et septembre. À côté d’une commercialisation en direct aux Etats-Unis, Bausch + Lomb pourrait rechercher un partenaire pour le marché japonais, une option certainement pertinente compte-tenu des spécificités de ce marché important. Quant à l’Europe, nous sommes en train d’évaluer ensemble les démarches pour y faire homologuer le médicament.
BiotechBourse : En tant que telle, l’AMM occasionera-t-elle un versement en votre faveur ?
Michele Garufi : L’essentiel des milestones à recevoir au moment de l’AMM reviendront à Pfizer. En effet lorsque nous avions repris les droits du produit à Pfizer, nous avions structuré l’accord de façon à débourser très peu d’argent tant que le médicament n’avait pas obtenu son AMM. C’est donc en cas de feu vert de la FDA que nous nous acquitterons de l’essentiel du prix à notre ancien partenaire. En revanche, nous conserverons l’essentiel de milestones commerciaux. Au total, après reversements à Pfizer, Nicox pourrait recevoir 132,5 millions de dollars et des redevances nettes comprises entre 6 et 11 % du chiffre d’affaires du latanoprostène bunod.
BiotechBourse : Nicox a aussi récemment demandé un examen accéléré pour AC-170…
Michele Garufi : Oui, l’AC-170 est une formulation innovante de la cétirizine, un agent anti-histaminique, développée contre les démangeaisons oculaires associé aux conjonctivites allergiques (le marché américain des traitements oculaires pour la conjonctivite allergique dépasse 800 millions de dollars, aujourd’hui dominé par Alcon). Deux essais de phase 3 ont mis en évidence la sûreté et l’efficacité de notre formulation. Les données pédiatriques générées rendent en théorie éligible à une revue accélérée. La FDA a 60 jours (d’ici au 18 juin au plus tard) pour confirmer si l’examen sera accéléré. Dans ce cas de figure, leur réponse interviendrait 6 mois après la date du dépôt du dossier, ce qui nous amènerait en l’occurrence en octobre 2016. Sinon, l’examen durera 12 mois, soit jusqu’en avril de l’année prochaine. Nous recherchons un partenaire pour commercialiser le médicament aux USA. Si la FDA décidait de procéder à une revue accélérée, il faudra sans doute accélérer les discussions en cours..
BiotechBourse : Qu’en est-il de votre projet de scission des activités commerciales européennes ?
Michele Garufi : C’est l’objet de notre annonce de décembre 2015, sur laquelle je peux vous apporter davantage de détails aujourd’hui. D’abord pour expliquer l’origine de cette décision il faut se replacer dans le contexte de 2012/2013 alors que nous venions d’annoncer le repositionnement de Nicox sur l’ophtalmologie. Or en se lançant dans cette voie, nous n’avions pas encore connaissance des données de phase 3 et du potentiel du latanoprostène bunod. Nous ne disposions également pas encore d’un pipeline renforcé par l’acquisition d’Aciex. Donc, alors que nous n’avions pas encore en poche ces actifs de R&D, nous tourner vers la distribution nous permettait de générer des revenus commerciaux, contribuant grandement à notre financement. Les ventes ont ainsi atteint 10 millions d’euros en 2015, avec une forte croissance. Mais on se rend compte qu’au plan des ressources humaines et financières, on ne peut pas tout faire. Notre objectif aujourd’hui est donc de trouver un partenaire industriel et financier qui trouverait dans notre gamme et le réseau européen que Nicox a bâti un bon complément à ses propres actifs. Nous lui cèderions la majorité du capital des entités européennes, ce qui réduirait ainsi significativement notre exposition financière et nous permettra de nous concentrer d’autant plus sur la R&D.
BiotechBourse : Quels projets composent le reste du pipeline ?
Michele Garufi : Au-delà du latanoprostène bunod et de l’AC-170 Nicox dispose aujourd’hui d’un pipeline en développement attrayant. NCX 4251 est un produit entièrement issu des recherches de Nicox positionné comme un traitement de la blépharite, une inflammation des paupières, qui est une indication reconnue par la FDA sans traitement approuvé. Ce médicament a l’avantage de calmer l’inflammation sans entraîner les effets secondaires des stéroïdes. Nous devrions mener une étude de preuve de concept en 2017 et si le risque d’échec à ce stade reste important, ce sera un produit très intéressant si les études sont concluantes.
NCX 470 est un potentiel successeur au latanoprostène bunod, présentant dans les modèles animaux une activité thérapeutique encore plus importante dans le glaucome. Fort de l’expérience acquise au travers de notre collaboration avec Bausch + Lomb, nous sommes impatients d’avancer sur ce projet pour lequel nous détenons encore 100 % des droits.
Enfin il y a la nouvelle génération de donneurs d’oxyde nitrique, qui délivre une forme d’oxyde nitrique entièrement physiologique et que l’on pourrait ainsi associer à une autre molécule avec un mode d’action différent. Ce serait alors très prometteur.
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