Nous nous sommes entretenus avec Christophe Douat, le PDG de Medincell, pour évoquer l’actualité récente ainsi que les perspectives de la société.
BiotechBourse : Votre partenaire Teva vient de recevoir une « Complete Response Letter » (CRL) de la FDA américaine pour le produit TV-46000/mdc-IRM pour le traitement de la schizophrénie développé avec le technologie de Medincell. Qu’est-ce qu’une CRL ?
Christophe Douat : Le dossier mdc-IRM a été déposé par Teva en Juin 2021. Après l’avoir accepté, la FDA a procédé depuis à son examen. Son verdict était attendu entre fin avril et fin juin. A ce stade, la FDA a trois possibilités : soit elle approuve directement, soit elle refuse l’approbation du produit, soit elle indique que l’approbation n’est pas acceptable en l’état, en émettant généralement des recommandations pour qu’il le devienne. C’est ce dernier cas de figure qui s’applique ici avec la réception d’’une CRL par Teva. Notre partenaire a clairement indiqué mardi qu’il se prépare à répondre aux recommandations de la FDA pour que le dossier puisse être accepté le plus rapidement possible. Il ne s’agit donc pas d’une fin de non-recevoir, et évidemment pas d’un refus, mais bien d’une feuille de route à suivre pour compléter le dossier et arriver à l’approbation. Actuellement, les deux risques principaux sont écartés par Teva qui nous a indiqué ne pas anticiper d’essai clinique supplémentaire et qui ne remet pas cause la technologie MedinCell en réaffirmant toute sa confiance dans nos programmes communs. L’impact principal pourrait donc être un délai, qui reste à définir. Notre situation financière est peu impactée, nous disposons toujours d’une visibilité financière jusqu’à l’été 2023 que nous travaillions déjà à étendre, indépendamment des revenus attendus de ce premier produit.
BiotechBourse : Est-ce classique de recevoir une telle lettre lors d’une demande de mise sur le marché ?
Christophe Douat : Oui, c’est ce que nous avons indiqué dans notre deuxième communiqué de presse en citant le Dr Richard Malamut, Président du Conseil Médical de MedinCell qui fut précédemment Senior VP en charge de la psychiatrie chez Teva : les CRL sont habituelles dans le processus réglementaire de la FDA et aboutissent la plupart du temps à une approbation. L’étude la plus complète qui existe sur le sujet montre qu’en psychiatrie, seulement 37% des dossiers de demande d’autorisation sur le marché aboutissent directement à une approbation. Mais au final, 91% des soumissions de dossiers en psychiatrie sont finalement approuvées. En retirant les dossiers directement approuvés (37%), La probabilité de succès, c’est-à-dire d’approbation du dossier, après réception d’une CRL est donc de 87%. Nous avons donc toutes les raisons d’être confiants, d’autant que notre partenaire a démontré par le passé qu’il sait gérer ce type de situation finalement très classique. La question désormais, et nous ne le savons pas encore, est de savoir combien faudra-t-il de temps à Teva pour compléter le dossier et combien de temps mettra la FDA pour l’analyser.
BiotechBourse : Quelles sont les probabilités d’un scénario positif/négatif de MedinCell ?
Christophe Douat : Comme je viens de l’expliquer, une CRL ne change pas les probabilités de succès. On peut donc rester optimiste, d’autant que notre partenaire a clairement annoncé qu’il allait faire avancer le dossier rapidement. C’est Teva qui conduit le développement réglementaire du produit, c’est donc lui qui a reçu la CRL. Nous n’en connaissons pas le contenu pour le moment.
Notre partenaire nous indique qu’aujourd’hui il n’anticipe pas d’avoir à faire des essais supplémentaires. Ça nous semble crédible, le PDG de Teva ayant décrit les résultats de Phase 3 comme étant « phénoménaux », et tous nos experts s’accordant à les qualifier les de remarquables. Avoir à refaire un essai clinique de Phase 3 serait le scénario le plus négatif. S’agissant d’études les plus coûteuses et les plus longues, ce serait un véritable revers industriel.
Dans l’hypothèse la plus positive, Teva pourrait avoir besoin de fournir des données complémentaires déjà disponibles, mais qui n’apparaissent dans le dossier initial, notre partenaire ayant pensé que ce n’était pas nécessaire. Autre cas bénin, il se pourrait que la FDA demande des informations complémentaires basées sur une hypothèse que Teva soit en mesure de contrecarrer. Il pourrait également y avoir des discussions autour du « Labelling » (contenu de l’étiquette du produit) et dans ce cas une discussion s’engagerait. Il pourrait y avoir également des études de toxicité complémentaire sur animal. Cela peut se faire relativement facilement, en quelques mois.
Un autre scénario concernerait cette fois l’aspect relatif à la production (« manufacturing ») qui d’ailleurs représente la majorité des causes de CRL. Cela peut venir de sujets tels que les manques de contrôle sur la certification de sous-traitance, ou sur le système qualité. C’est Teva qui est lui-même le fabricant du produit, dans ses usines. Les polymères de Corbion, notre partenaire industriel, entrent dans la composition du produit. Nous n’avons pas eu d’alerte de ce dernier. Bien sûr, d’autres raisons pourraient en être à l’origine de la CRL.
Teva devrait rencontrer la FDA rapidement au sujet la suite à donner aux recommandations qui ont été émises par l’agence américaine pour optimiser le processus.
BiotechBourse : Pourquoi Teva ne communique pas sur le contenu de la CRL ?
Christophe Douat : Les CRL sont assez courantes, tous les fabricants y font face. Dans la grande majorité des cas, les industriels ne communiquent pas leur contenu pour des raisons concurrentielles, afin de protéger le produit, et pour ne pas divulguer d’éléments stratégiques avant la commercialisation. Par ailleurs, les Pharmas sont extrêmement prudentes dans toute communication autour des sujets réglementaires, notamment pour ne pas interférer avec le processus en cours et pour assurer la bonne conduite du traitement de l’instruction avec la FDA dans son rôle d’autorité de santé.
De manière systématique, les Pharmas sont donc très prudentes sur les évocations publiques des sujets réglementaires. Enfin, cette information a été reçue par Teva dans les heures qui ont précédé le communiqué de presse et il faut du temps pour analyser ces commentaires préliminaires et s’assurer de fournir des réponses complètes. Le PDG de Teva, Kåre Schultz, pourrait d’ailleurs prendre la parole sur ce sujet face aux analystes le mardi 3 mai lors de la publication des résultats trimestriels.
BiotechBourse : En quoi cet événement peut-il modifier votre visibilité financière ?
Jaime Arango (Directeur financier) : Cet événement n’a pas d’impact sur notre visibilité financière qui reste inchangée pour nous mener jusqu’à juin 2023. Nous avions anticipé la possibilité du scénario actuel, qui est plutôt la norme comme le faisait remarquer Christophe. Et même si l’approbation avait été obtenue du premier coup par Teva, nous restions conservateurs dans nos modèles : lancement au 3ème ou 4ème trimestre et prise de parts de marchés manière graduelle. Dans les premiers mois suivant le lancement commercial de ce produit basé sur notre technologie, les royalties devraient logiquement très peu influencer notre visibilité financière même en anticipant une montée en puissance rapide.
Par ailleurs, nous avons notamment entamé depuis quelque temps un travail de restructuration de notre dette afin de repousser les remboursements du prêt signé il y a quatre ans avec la Banque Européenne d’Investissement. En résumé, au lieu d’avoir à payer près de 10 millions d’euros en juin 2023, 9 millions d’euros en juillet 2024 et 6 millions d’euros en 2025, nous pourrions rembourser cette dette à partir de 2027 seulement. Ce report permettrait à notre premier produit commercialisé de prendre une part de marché significative et à MedinCell de percevoir des royalties assez importantes au moment du premier remboursement. Nous travaillons sur cette restructuration par anticipation depuis quelques mois.
BiotechBourse : Suite à cette annonce de la FDA, êtes-vous confiant pour la suite ?
Christophe Douat : Tous nos programmes ont évolué en maturité d’année en année depuis notre IPO en octobre 2018 et Teva reste pleinement engagé dans tous les produits basés sur notre technologie après l’annonce, ce qui est très positif. Notre produit TV-46000/mdc-IRM dans la schizophrénie a le potentiel de devenir un produit de référence. Cette approbation serait la validation finale de notre technologie. Cela marquerait également un succès important pour l’écosystème biotech français en parvenant à atteindre le statut « Blockbuster » (ventes supérieures à 1 milliard de dollars).
Nous attendons également dans le courant de l’année deux passages en Phase 3. Le premier concerne la phase 3 de notre deuxième produit avec Teva dans la schizophrénie (mdc-TJK) sur lequel nous avançons avec notre partenaire. L’autre produit qui devrait également démarrer une Phase 3 est mdc-CWM dans le traitement de la douleur post-opératoire en partenariat avec le canadien AIC. Celui dernier est en cours de discussion avec la FDA sur la finalisation du protocole des études.
Le reste de notre portefeuille avance également, avec nos programmes internes démarrés à l’IPO qui arrivent dans les premières étapes réglementaires. Notre produit anti-rejet dans la transplantation (mdc-GRT) et celui dans la contraception (mdc-WWM (subventionné par la Fondation Bill & Melinda Gates) devraient entrer en études cliniques en 2023. Notre produit visant à protéger du Covid-19 et de ses variants (mdc-TTG) avance également avec un essai clinique « preuve de concept » dont les résultats intermédiaires sont attendus cet été.
Une de nos forces a été jusqu’ici de nous associer avec des partenaires puissants, Teva, Corbion, ou encore la fondation Bill & Melinda Gates. Nos projets de formulation se poursuivent, et les discussions de partenariats s’accélèrent à la suite de nos résultats de Phase 3.