La société franco-suisse GeNeuro ambitionne de bouleverser le traitement de la sclérose en plaque avec le GNbAC1, un anticorps monoclonal qui ouvre une piste médicale totalement nouvelle. Fondée en 2006, l’entreprise a déjà noué avec Servier un partenariat qui pourrait générer jusqu’à 362,5 millions d’euros de paiements. Concomitamment au lancement de la phase 2b d’essais cliniques, GeNeuro a déposé son document de base en vue d’une introduction sur Euronext Paris.
Le diagnostic d’une sclérose en plaques n’est malheureusement pas rare (environ 80.000 patients en France, soit plus d’une personne sur 1000, et 2,5 millions de patients dans le monde). Cette maladie dégénérative du système nerveux central se déclare souvent chez le jeune adulte, et si elle est le plus souvent d’évolution lente, le risque d’un handicap permanent ne peut être minimisé puisque dans la moitié des cas environ, une difficulté majeure pour la marche est présente vingt ans après le début de la maladie – parfois beaucoup plus tôt. C’est la première cause de handicap sévère non traumatique chez les trentenaires.
On estime que la sclérose en plaques (SEP) est d’origine auto-immune. Dans le cerveau humain, les neurones communiquent au moyen de fibres nerveuses appelées axones. Ces dernières sont entourés par une gaine de myéline, laquelle protège l’axone et facilite la transmission de l’influx nerveux. Dans la SEP, des lymphocytes attaquent les cellules chargées de fabriquer la gaine de myéline, entraînant des lésions (ou plaques) scléreuses (d’aspect épais et dur) et, au fil du temps, une dégénérescence de l’axone. L’influx nerveux est perturbé ou ralenti provoquant des troubles moteurs, des troubles de la sensibilité, des symptômes visuels (vision double ou baisse d’acuité visuelle), des troubles de l’équilibre, symptomes survenant isolément ou en association. Dans la grande majorité des cas, la maladie se manifeste par une forme dite récurrente/rémittente, caractérisée par des poussées d’intensité et de durée variables, disparaissant partiellement ou en partie grâce à une remyélisation des axones. Mais après quelques années, la SEP arrive souvent à un second stade, dit progressif, où les rémissions s’atténuent et où le handicap s’installe linéairement.
Les traitements actuels visent tous à stopper l’action délétère des lymphocytes qui s’attaquent aux cellules cérébrales, avec des résultats notables sur les symptômes (réduction du nombre de poussées de la SEP). Mais le système immunitaire s’en trouve inévitablement affecté, ce qui facilite l’apparition de maladies opportunistes et accroît le risque de cancers. En outre, la diminution de la fréquence des poussées ne ralentit pas pour autant la progression du handicap.
Avec le GNbAC1, GeNeuro propose une approche entièrement différente, qui vise à bloquer le phénomène inflammatoire et dégénératif de la maladie plutôt que d’interférer avec le système immunitaire. Cette approche novatrice soulève un important espoir de parvenir à traiter les causes de la maladie, au vu des résultats obtenus en phase 2a (aucune nouvelle lésion ni progression des lésions existantes chez les huit patients ayant terminé l’étude d’un an, ce qui apparaît très encourageant même si l’entreprise souligne que le design de l’essai ne permettait pas de tirer valablement de conclusions sur l’efficacité).
Le projet de GeNeuro s’appuie sur 25 années de recherche, menées notamment à l’Inserm et chez bioMérieux par le Dr. Hervé Perron, dans le domaine des rétrovirus endogènes humains (HERV). Pour résumer, on sait qu’une partie du génome humain (jusqu’à 8 % selon les estimations actuelles) a pour origine des virus infectieux qui se sont intégrés dans la lignée d’ADN humain au cours de notre évolution. Cet ADN est normalement “silencieux”, c’est-à-dire non-codant, mais dans certaines conditions ses gênes peuvent se réactiver et se mettre à commander la fabrication de certaines protéines. Parmi celles-ci, la protéine MSRV-Env est principalement incriminée dans la SEP puisqu’on la retrouve dans les lésions de tous les patients, avec un niveau d’activité des plaques corrélés au niveau d’expression de la protéine, et un rôle pathologique (à la fois pro-inflammatoire, ce qui déclenche l’action des lymphocytes, et neurodégénératif) bien identifié. L’anticorps GNbAC1 attaque justement cette protéine en se liant à un antigène spécifique. De ce fait, il n’y a pas de risque identifié de dommage collatéral à des protéines saines et utiles, et la tolérance observée jusqu’ici est très bonne.
Financée par Servier à hauteur de 37,5 millions d’euros, la phase 2b CHANGE-MS prévoit d’inclure 260 patients (atteints de la forme récurrente/rémittente) dans 13 pays européens. GNbAC1 sera évalué en double aveugle face à un placebo, sachant que les patients pourront recevoir uniquement des traitements symptomatiques (comme les corticostéroïdes) pour traiter les poussées. Les premiers recrutements sont prévus dans le courant du semestre et les résultats intermédiaires sont attendus fin 2017, pour des résultats finaux après un an complet de traitement fin 2018. À l’issue, Servier décidera de lever ou non son option pour obtenir les droits de commercialisation hors Japon et USA, marchés que GeNeuro compte se réserver. Puis une phase pivot, vraisemblablement sur 800 patients et au moins deux années, sera nécessaire avant un éventuel dépôt d’AMM, conduisant à envisager une mise sur le marché entre 2022 et 2024 en tablant sur un calendrier habituel.
Par ailleurs, GeNeuro veut démarrer le développement clinique du GNbAC1 aux Etats-Unis, ce qui implique de finaliser un dossier d’IND auprès de la FDA et d’étendre courant 2016 la phase 2b à des centres aéricains. La composante américaine de l’étude doit évidemment être organisée pour pouvoir soutenir ensuite un seul essai pivot de phase 3 pour l’enregistrement en Europe comme aux USA.
Enfin, la société projette toujours en 2016 une étude adaptative (phase 2/3) dans une indication orpheline, la polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique (PIDC, aussi appelée SEP périphérique), ainsi qu’une phase 2a dans le diabète de type 1 (chez 30 % des patients souffrant de diabète insulino-dépendant, la protéine MSRV-Env est présente au niveau du pancréas).
Au-delà, GeNeuro souhaite valoriser sa plate-forme spécialisée dans les rétrovirus endogènes humains en développant d’autres médicaments, compte tenu des nombreuses pathologies associées aux différentes familles de HERV (HERV-W, HERV-K…).